La culture du vers à soie à Rousses
Le ver à soie est une chenille qui provient du papillon Bombix Mori ou Bombix du mûrier. En effet, sa nourriture se limite uniquement à la feuille de cet arbre. Ce papillon est un peu spécial, car il n’existe pas dans la nature, à l’état sauvage. C’est un insecte hybride obtenu de façon artificielle par l’homme, grâce à des sélections successives. C’est l’objet de la « sériciculture », qui est en fait, l’élevage du ver à soie. Vous trouverez sur le site de l’Amelier [1] tous les détails concernant l’histoire extraordinaire de cette industrie.
Cette activité, qui a eu une telle importance dans les Cévennes jusqu’à la fin du 19è siècle, était elle pratiquée à Rousses ? Son souvenir a laissé peu de traces, dans la mémoire des habitants d’aujourd’hui.
En 2018, Maurice GOUT (97a) de Montcamp disait qu’il y aurait eu une magnagnerie chez AGULHON à Carnac, il y a une centaine d’années, donc au sortir de la première guerre mondiale. Quelques mûriers encore présents pourraient l’attester. Sophie LEMONNIER, parlant des « mines à eau » écrit « ces mines à eau pourraient avoir été creusées au XVIIIè s. quand les plantations de mûriers pour le vers à soie nécessitaient la possibilité d’irriguer les cultures au printemps » [2]. Les rapports, rédigés par les instituteurs Alexandre RODIER en 1862 [3] & DAUNIS en 1874 [4], après l’âge d’or de la sériciculture en France (entre 1820 et 1855) n’en parlent pas. Il faut aller voir l’épais rapport, très documenté, d’Armand de QUATREFAGES, originaire de Valleraugue, concernant « la maladie des vers à soie, dans le midi de la
France » rédigé en 1859 [5], pour en savoir plus. Jean Louis Armand de QUATREFAGES de Bréau, est un biologiste, zoologiste et anthropologue français, né le 6/2/1810 à Berthézène, hameau de la commune de Valleraugue, et mort le 12 janvier 1892 à Paris. Vers 1859, il a été chargé par l’Académie des Sciences, d’étudier le mal qui frappait, depuis plusieurs années l’industrie du ver à soie, et pour cette raison, il a visité de nombreux producteurs.
On apprend ainsi, qu’à Rousses :
– En 1860, il y avait 25 à 26 maisons [il s’agit probablement du Bourg seul, car selon [4], en 1874, il y en avait 32 pour un total de 84 dans la commune, sans compter Cabrillac et le Guâ]. Le village était entouré de prairies, de noyers et de châtaigniers. Le raisin y vient. Les cerises y mûrissent en général du 20 au 25 juin.
– Les premières plantations de mûriers, faites aux environs, remontent au plus à 24 ans en arrière, ce qui les placerait vers 1834. Les mûriers sont greffés. Ils appartiennent en général à la variété appelée « rebalaïro ».
– La quantité de feuilles produites annuellement est d’environ 70 à 75 quintaux. Remarque : les mûriers produisaient individuellement de 3 à 7 quintaux de feuilles, suivant la nature du terrain, cela correspondrait donc à la production de 10 à 25 mûriers. En outre, des feuilles étaient aussi achetées à l’extérieur. Pour obtenir 1g de graines (c’est ainsi que l’on appelle les œufs), capables de produire un quintal de cocons, il fallait 27kg de feuilles. On peut donc estimer que Rousses avait théoriquement les capacités de produire jusqu’à une dizaine de tonnes de cocons avec ses propres
mûriers (A son apogée, vers 1850, la production française atteignait 26000 tonnes), mais seule une partie (inconnue) de la graine produite était utilisée sur place pour la production des cocons, qui ne devait donc pas dépasser 0.5 à 1 tonne tout au plus (une once de graine produit 50kg de cocons).
– Jusqu’à ce moment, toutes les éducations ont réussi à Rousses, comme elles réussissaient jadis dans tout le pays. Les graines de cette localité ont acquis une réputation très grande.
– Nous avons visité à Rousses, deux chambrées provenant de graines, toutes deux déjà anciennes dans le pays, mais d’origine différente et n’appartenant pas aux vieilles races des Cévennes :
• Daunis, propriétaire emploie de la graine de vers milanais acclimatés depuis 12 ans. Le local est un peu bas. En revanche il n’y a que 3 étages de vers et un intervalle de plus d’un mètre entre la dernière étagère et le plafond. Celui-ci est formé de planches trop rapprochées. Le sol de la magnanerie est dallé. L’éducation s’est faite sans feu, grâce aux chaleurs constantes de l’année. Le thermomètre a varié de 17.5 à 21.5°C. Les vers sont tenus proprement, mais ils sont un peu trop serrés.
• Devèze, journalière a acclimaté depuis 6 ans seulement [donc vers 1853 ou 1854] les vers qu’elle élève. Elle les croit d’origine italienne. C’est d’abord une race complètement blanche. Ses vers ont été nourris, jusqu’à la première mue, avec de la feuille de Rousses. A partir de ce moment, et pour des motifs d’économie, on leur a fait manger des feuilles prises à Vébron, où la maladie s’est déclarée depuis l’année dernière (1859). Le local est très rustique. C’est un grenier dont le parquet et le toit sont à jour.
Les étagères, au nombre de 3 laissent à peine l’espace nécessaire pour faire le service. On ne sent au reste aucune odeur désagréable. Les vers étaient un peu trop serrés, mais sans qu’on ait pu dire qu’il y avait encombrement.
• Les Ablatats : ce hameau qui ne compte qu’une douzaine de feux, est bâti à mi-côte d’une montagne assez élevée et fait face au nord-est. Quoique très rapproché de Rousses, il est très sensiblement plus élevé. Il est entouré de châtaigniers et de noyers, mais le raisin n’y mûrit qu’avec peine, et le 30 juin, au moment de notre visite, les cerises les plus hâtives commençaient seulement à mûrir. Les plus anciens mûriers plantés aux Ablatats l’ont été en 1841 par M. Aurès le Conse [signifie Consul. Ce titre conféré à un des aïeux de M. Aurès, est resté attaché à la famille comme un surnom], dont la femme a transporté depuis 20 ans [soit 1840 environ], sur ce point élevé des montagnes, une industrie héréditaire dans sa famille. Ces mûriers ont été greffés de rébalaïro. Pendant les premières années de son mariage, M. Aurès achetait la feuille au dehors. Il a constamment été heureux dans ses éducations. Pendant les dernières années, sa chambrée a acquis une réputation telle, qu’il a vendu tous ses cocons pour graine, et que le prix s’est élevé jusqu’à 30F le demi kilogramme. C’est Mme Aurès qui seule se charge des opérations du grainage. Dans ce but, elle choisit à chaque mue, les plus beaux vers et les élève à part. Elle agit de même pour les cocons et enfin pour les papillons. Je n’ai recueilli que des éloges sur cette graine et sur les cocons qui en proviennent. M. Aurès a conservé la vieille race du pays. Il s’est fait aux Ablatats, en 1858, cinq chambrées représentant un total de 6-7 onces (156-182 grammes). A lui seul, M. Aurès en a élevé 2 onces (52g) en 2 chambrées distinctes et dans 2 magnaneries différentes. Il a fourni les graines pour toutes les autres. Le local que j’ai visité est aussi rustique que possible. C’est un grenier qu’on peut dire à jour en tous sens. On le chauffe avec des brasiers portatifs. Les montants n’ont que deux étages superposés. Les vers sont plus espacés que dans la plupart des éducations du pays. A l’œil nu, ils étaient vraiment magnifiques, parfaitement égaux, de grande taille, d’une couleur admirable, et tout annonçait chez eux, une énergie que je n’ai pas rencontrée dans aucune éducation des vallées.
• Massevaques : Ce village compte de 18 à 20 feux. Il est entièrement isolé des flancs d’une montagne escarpée et fort au-dessus du fond des vallées. Son exposition est sud-est. Il est beaucoup plus élevé que les deux localités précédentes, est placé au milieu des bois de hêtres, à 300m environ au-dessus de la limite inférieure de ces arbres. Au moment de notre visite (30 juin), les cerises étaient encore toutes vertes. A peine, la couleur de quelques unes présentaient elles un changement de teinte. On comprend qu’il ne saurait y avoir des mûriers à une semblable élévation, aussi n’y avait on jamais élevé de vers à soie. En 1857 seulement, un nommé Géminar de St André de Valborgne, homme fort intelligent, familier avec cette industrie, et établi depuis peu à Massevaques, conçu la pensée de faire une chambrée destinée uniquement au grainage. Dans ce but, il se procura des cocons d’Aurès, et les fit grainer chez lui. Pour élever ses vers, il se procura des feuilles de Fraissinet-de-Fourques, localité qui est à 729m au dessus du niveau de la mer (d’après d’autres renseignements, cette feuille pourrait provenir en fait de Chanac). Sa chambrée réussit parfaitement. La graine qu’il produisit s’est montrée partout d’excellente qualité. Géminar a gardé pour lui-même une once (26g) de cette graine, appartenant par conséquent à la vieille race du pays. La maison de cet éducateur, placée vers le milieu du village, a ses fenêtres au midi. Elle est remarquable par son extrême propreté, par l’air d’aisance qui y règne. Le local destiné aux vers est bas, parqueté et plafonné en simples planches, mais assez bien jointes. En revanche, une trappe établie au plafond, permet de renouveler l’air assez rapidement. Tous les vers étaient d’un aspect remarquablement beau.
Conclusions :
Rousses a donc bien participé, à une petite échelle, à l’épopée du ver à soie, au moins vers 1830, quand cette industrie était en pleine croissance. Une partie seulement des cultivateurs se sont livrés à cette activité qui nécessitait de la place et une grande disponibilité, plusieurs semaines par an. Le village a été un des derniers touchés par les terribles maladies qui ont ruiné cette industrie vers 1850, et ses graines étaient recherchées. Une activité réduite a sans doute perdurée jusqu’au début du 20è siècle. Une recherche dans les archives familiales permettrait sûrement d’approfondir le sujet.
Sources :
[1] La sériciculture ou élevage du ver à soie cévenol – pairet.org (blog4ever.com).
[2] « L’homme et la nature à Rousses » Livret de Sophie Lemonnier, Juillet 2015, 50 p.
|3] « Description géographique de la commune de Rousses » Alexandre Rodier, 30/6/1862, 7 p.
[4] « Notice sur la commune de Rousses » instituteur public Daunis, 19/05/1874. 7 p.
[5] « Etudes sur les maladies du ver à soie » par M.A. de Quatrefages, Mémoires de l’Académie des
Sciences de L’Institut de France (1860 – tome 30) p.64 à 72.
Jean Paul EYMERY 10/02/2021